Nouvelle : [ Only came outside to watch night fall. ]
J'avais une chanson qui tournicotait en boucle dans ma tête, c'était Planet Earth
des Duran Duran, il faisait chaud. Je me rappelle de ce ciel bleu
électrique qui tapait dans mes yeux et me faisait mal, les filles
avaient sorti leurs mini-jupes style pétasse et les mecs étaient
violents entre eux. Je sens encore mon t-shirt me coller au corps à
cause de la sueur qui dégoulinait le long de mon dos, et je portais mes
RayBan.
Arrêtée
sur le seuil de l'immeuble où je vivais, ça faisait un paquet de jours
que je n'étais pas sortie, et il fallait que je me réhabitue à ce
soleil éclatant.
Quand
mes yeux ont cessé de me brûler, je me suis mise en route. Je marchais
tranquillement, tête baissée, du bout des doigts je touchais le mur des
immeubles devant lesquels je passais.
Je me demandais comment je pourrais m'éliminer
rapidement et sans trop souffrir.
Je
susurrais ces paroles kitsch du bout des lèvres, de l'autre main je
tenais un pan de ma robe blanche en coton tout doux. Je ne savais pas
trop comment j'en étais arrivée à me détester à ce point, peut-être
simplement parce que je n'étais pas foutue de trouver un moyen, un
moyen efficace, de faire quelque chose de bien de ma vie. Tout ce que
je désirais, c'était sortir du monde en laissant des morceaux de moi un
peu partout. Là, maintenant, je ne voyais rien à part me déchiqueter
toute seule pour me semer aux quatre coins de la ville...
Mes
doigts ont commencés à brûler à cause du béton chaud. J'ai levé la
tête, je me suis arrêtée net. Plus que mes ongles c'est la brûlure au
fond de mon estomac qui se réveillait et qui se répandait comme une
traînée de poudre, tout à l'intérieur de moi. Il était là, à quelques
dizaines de mètres devant, il sortait de sa voiture aussi cabossée que
son âme, et côté passager une pétasse tirait son corps de la bagnole.
La pétasse avait le poil brillant, les jambes interminables et les
seins bien ajustés, la pétasse aurait pu figurer dans la nouvelle pub
Head&Shoulders. Il s'est approché, a fourré sa langue dans son
immense bouche rouge Chanel, et elle est partie avec un air satisfait,
l'air d'une fille qui vient de se faire tirer.
Accessoirement, j'étais sa copine officielle. Accessoirement.
Peut-être
que m'être enfermée sans donner de nouvelles lui a fait penser que je
ne voulais plus de lui ; à vrai dire j'ai pensé à son corps tous les
jours, j'ai pensé à nos ébats quand je m'allongeais sur le lit. Bien
sûr que tout n'était qu'une question de sexe entre nous, oui, mais ce
n'était pas une raison. J'avais un ego de femme à combler.
Je
l'ai vu hésiter un instant, il marchait doucement, il faisait le tour
de la décapotable pour retourner côté volant, mais il a pris sa
décision, demi-tour, il a couru vers chez elle. Oh, monsieur est
amoureux. Monsieur ne m'a jamais rattrapée comme ça, moi, après l'amour.
Dans
ma tête, ça n'a pas fait l'ombre d'un putain de doute, j'ai suivi. Je
suis entrée dans l'immeuble, sans courir toutefois, je me suis arrêtée
près des sonnettes de l'immeuble où elle vivait. Quel nom peut porter
une pétasse comme elle...? Blanche Mac Queen ? Non. Kenny Alexanders ?
Ce serait drôle. Eleanor Rodgiero ? Ouais, ça pourrait. Deuxième étage.
Alors je suis montée, je me suis arrêtée devant la porte d'Eleanor et
j'y ai collé mon oreille. La voix de Lenny, putain, j'avais visé juste,
et je n'ai pas pu m'empêcher de sourire.
Dans
ma folie interne, j'ai ouvert la porte, j'ai gueulé, "Lenny, Lenny
chéri, ta pute préférée est enfin sorti de son bordel !". Et dans le
salon, j'ai pu admirer le spectacle. Lenny debout, le pantalon abaissé
; la pétasse à genoux, la bouche grande ouverte. Ils ont tourné la tête
vers moi en même temps. "Chérie, ton Chanel a débordé." j'ai dit, et je
me suis tirée.